DORA MAAR, AUTOPORTRAITS
29 fev. - 27 av. 2024
La Galerie Boquet et Ambroise Audoin-Rouzeau présentent Dora Maar, Autoportraits, première exposition consacrée exclusivement aux autoportraits de Dora Maar (1907 – 1997).
Figure mythique de l’art du XXe siècle, Dora Maar est essentiellement reconnue comme photographe et grande figure du mouvement surréaliste.
Or, dès sa rencontre avec Picasso à Paris en 1936, elle se consacre de nouveau à la peinture et au dessin. Elle explore alors le motif et le thème du portrait, en particulier celui de l’autoportrait.
Son visage est l’un des plus célèbres de l’histoire de la peinture, tant de fois peint et dessiné par Pablo Picasso. Cette exposition sera l’occasion de retourner le regard sur Dora Maar. Et de montrer comment cette artiste majeure, - souvent dépeinte en « femme qui pleure » et réduite au rôle de muse - se perçoit et se représente elle-même.
Ces dessins, présentés pour partie dans l’ouvrage Dora Maar, Secrets d’atelier (éditions Dilecta, 2023), contribuent à mettre en lumière un pan jusqu’ici inconnu de l’œuvre de Dora Maar.
DORA MAAR
Femme assise
1939
encre de Chine sur papier
25,6 x 21 cm
inscrit “14•16” (en haut à droite)
Pour quelqu'un qui avait été formé à la peinture à l'Académie Lhote et qui, à partir de 1936, avait été la compagne et l’amante du plus grand peintre du siècle, retrouver la pratique picturale était une décision naturelle. Mais avant de développer un style propre, Maar a puisé dans l'œuvre de Picasso, dont elle était si proche.
En 1939, année de beaucoup de ces dessins, Dora s'inspire donc de lui pour apprendre – et surtout comprendre – la logique de ses déformations. Et en même temps, avec une grande rapidité, elle produit de nombreuses variations sur un même thème, parfois sur une seule page.
Dora Maar, Picasso comme modèle
par Victoria Combalia
DORA MAAR
Personnages masqués
1939
crayon graphite sur papier
32 × 24,2 cm
daté “24 septembre” (en haut à droite)
Dans certains de ses autoportraits (ou autoportraits présumés), elle place les yeux dans un rectangle ou dessine, comme Picasso, un œil de face et un œil de profil, déplace le nez sur un côté, trace une petite bouche en pignon. Ceci pour elle-même comme pour le personnage masculin.
Comme lui également, elle conçoit le corps sous forme d’une construction d'éléments géométriques, évoquant un peu les célèbres Anatomies de 1933 du Malaguène.
Dans l'une d'elles, Picasso avait placé des seins sur une plate-forme en guise de plateau, et Dora reprend l'idée, rendant beaucoup plus évidente l'allusion au martyre de Sainte Agathe, dont les seins furent coupés et que Zurbarán immortalisa, posés sur un plat en guise d'offrande. Il faut rappeler que l'intérêt de Dora pour la spiritualité remonte fort loin : d’avant sa rencontre avec l'abbé Jean de Monléon en 1952, d’avant son désir d'entrer dans l'ordre bénédictin, en 1956. En effet, la même année que ces dessins, en 1939, Picasso l'avait représentée avec la devise Dora Pro Nobis : un jeu de mots subtil qui fait allusion à sa religiosité.
Dora, qui fut surréaliste dans certaines de ses photographies, se laisse tenter par la malléabilité du corps féminin, au prix de seins disloqués, d’un visage fragmenté et d’une perspective multiple.
Elle en arrive à une épuration magnifique dans la Figure hélicoïdale. Dans ses autoportraits les plus cubistes et picassiens, elle propose les inventions que sont un œil transformé en poisson et des oreilles coniques.
Dans un langage plus traditionnel, elle s'est représentée avec son chat Moumoune, nettoyant ses pinceaux ou s'activant dans sa cuisine. Elle fait référence à certains de ces dessins dans ses carnets et journaux intimes. Elle y écrit, en 1952, qu'elle médite quotidiennement et qu’elle subit parfois des hallucinations dans son sommeil. Dans l'une d’elles (La Vision), on la voit, dos tourné, devant ce qui pourrait être des miroirs, des fenêtres ou des cercueils, en train de contempler une figure mystérieuse et sombre. Une œuvre troublante, qui transmet quelque chose de son angoisse, ou peut-être de son désir de transcender le monde tangible et quotidien.
Victoria Combalía
Professeure à l’Université de Barcelone et critique d’art pour El Pais (1982 - 2024), Victoria Combalía fut commissaire de nombreuses expositions, dont Dora Maar (Munich, Marseille, Barcelone, Venise). Elle est l’autrice de Dora Maar, la femme invisible (Éditions Invenit, 2019).